Un enregistrement audio de 1878 restauré avec un microscope 3D

Des chercheurs de l’université américaine de Berkeley sont parvenus à restaurer l’un des plus vieux enregistrements audio réalisé sur une feuille d’aluminium en 1878 à partir du phonographe inventé par Thomas Edison. Une numérisation 3D avec unmicroscope haute précision a permis de sauvegarder et de restaurer l’enregistrement de 78 secondes sans altérer le support d’origine.

 

Pour la première fois depuis qu’il fut réalisé le 22 juin 1878, un enregistrement audio a pu être rejoué après avoir été numérisé et restauré. La démonstration a eu lieu le mois dernier au Museum of Innovation and Science de New York (Misci). Cet enregistrement est décrit comme le tout premier où l’on peut entendre une voix américaine ainsi qu’une composition musicale. Ce n'est pas la plus ancienne des musiques que l'on ait entendue puisqu'une équipe américaine avait réussi en 2008 à lire un enregistrement réalisé en France en 1860 et qui a restitué une voix féminine chantant Au clair de la Lune. Édouard-Léon Scott de Martinville avait utilisé un stylet relié à une membrane pour graver un rouleau enduit de noir de fumée. La lecture en était impossible.

L'enregistrement lu par le Misci, lui, a été réalisé à l'aide du phonographe conçu par Thomas Edison en 1877, avec une technique différente. L’inventeur capturait également l’onde sonore à l’aide d’un stylet relié à une membrane, mais la gravait sur une feuille d’aluminium placée sur un cylindre. Le stylet traçait des sillons verticaux sur la feuille à mesure que le cylindre tournait.

En inversant le procédé, Edison fut capable de rejouer le son qu’il venait d’enregistrer. Mais le système ne supportait que quelques relectures car le stylet finissait par déchirer la feuille. Résultat, il ne reste aujourd’hui que très peu de feuilles de ce type et seulement deux sont encore lisibles.


Sur les deux images supérieures, on découvre un schéma et une reproduction du phonographe de Thomas Edison. On distingue le cylindre, actionné par une manivelle, sur lequel était enroulée la feuille d’aluminium. Le stylet relié à undiaphragme y imprimait les vibrations produites par l’onde sonore de la voix humaine sous la forme de sillons verticaux. Il suffisait ensuite d’inverser le processus pour lire l’enregistrement. © Lawrence Berkeley National Laboratory/Misci

L’un des exemplaires appartient au Misci qui l’a confié à une équipe de chercheurs de l’université californienne de Berkeley spécialisée dans la restauration de documents sonore anciens.

Leur mission : parvenir à faire une copie de l’enregistrement de 1878 et à la restaurer sans détériorer son support d’origine. Pas question donc d’utiliser un phonographe pour rejouer la séquence de 78 secondes. Au lieu de cela, la feuille d’aluminium qui avait été conservée pliée en sept fois, a été numérisée à plat à l’aide d’un microscope confocal haute précision. Ce procédé a permis d’obtenir une image en 3D de la surface de la feuille qui a ensuite été traitée par un logiciel capable de reproduire le mouvementoriginal du stylet pour extraire le son.

Une image de 4.000 mégapixels pour restaurer une bande sonore

 

Le microscope utilise la lumière réfléchie sur la surface pour recueillir des informations sur sa forme et sa structure. « Si cette information peut être enregistrée avec une précision et une amplitude suffisantes, il est possible de remplacer l’action du stylet par une analyse mathématique du modèle lumineux sur un ordinateur », expliquent les chercheurs du Lawrence Berkeley National Laboratory. Pour atteindre le niveau de précision requis, le microscope a numérisé 180 sections sur toute la surface de la feuille d’aluminium. L’espacement entre chaque point numérisé était 250 fois plus petit que l’épaisseur d’un cheveu humain. L’image finale obtenue affichait une résolution de 4.000 mégapixels. La phase de numérisation a pris entre 6 et 8 heures, a précisé à Futura-Sciences Carl Haber, le professeur qui a mené ce projet de restauration.

Une fois cette première étape achevée, l’image a ensuite été traitée par un programme mis au point par les chercheurs de Berkeley pour analyser les enregistrements audio les plus anciens. Le procédé parvient à élaborer un modèle du fonctionnement du stylet en reproduisant sa vitesse et ses moindres mouvements lorsqu’il a enregistré le son sur le phonographe.

À chaque fois qu’il rencontrait dans l’image une section correspondant à une zone endommagée ou salie sur la feuille, le programme la réparait automatiquement, « à la manière de Photoshop », soulignent les chercheurs qui précisent toutefois que leur approche a consisté à laisser l’information source la plus intacte possible, quand bien même cela impliquait une dégradation sonore.

Le résultat de cette restauration peut être écouté dans sa version d’originesans filtres et dans sa version corrigée avec des filtres qui éliminent les bruits parasites. L’enregistrement commence par le son d’un instrument qui ressemble à un cornet suivi de la voix d’un homme chantant deux comptines,Mary Had a Little Lamb et Old Mother Hubbard. L’homme que l’on entend était un écrivain politique du nom de Thomas Mason qui avait acheté un phonographe Edison en avril 1878 pour 95,50 dollars (74,63 euros au cours actuel). Un document aussi historique qu’émouvant.

Par Marc Zaffagni, Futura-Sciences